Chaque semaine, de jeunes chrétiens se réunissent au D! Club de Lausanne pour louer Jésus dans une ambiance de concert rock.
Dimanche dernier, fin de journée. Il n’est que 18 h, mais 120 personnes sont déjà entrées dans le D! Elles ne sont pas venues pour la programmation électronique de la discothèque lausannoise. Elles sont là pour Jésus. La boîte de nuit accueille chaque semaine les cultes du Gospel Center de Lausanne, une Eglise membre de la Fédération romande d’Eglises évangéliques (FREE), qui loue l’établissement pour l’occasion. Une banderole bien visible de la place proclame: «A place where miracles happen» (Un endroit où les miracles se produisent).
Dans ce temple d’un soir, pas de bougies, mais des boules à facettes et des lasers. La plupart des participants ont la trentaine ou moins, à peine un quart semble avoir franchi les 45 ans. Une dizaine d’enfants courent entre la scène et le bar, d’où les adultes peuvent suivre le culte devant une bière. Ici pas d’orgue, mais une batterie, un clavier, trois guitares électriques et une basse. Pour ce dernier rendez-vous dominical avant la pause estivale, le groupe Sphère assure la première partie du culte, soit 40 minutes de musique live. «Cette culture musicale est la nôtre, c’est aussi celle des 20-40 ans. Notre communication cible ces jeunes, dont la plupart n’ont reçu aucune éducation religieuse et sont déconnectés des Eglises», souligne Marc Gallay, 52 ans, pasteur du Gospel Center.
Sur scène les musiciens, la vingtaine et presque tous étudiants, accompagnent Céline Meylan, la chanteuse du groupe. Elle se confie à l’issue du concert :
«Notre cœur est de servir. On est là pour louer Dieu avec l’assistance. Ça ne nous intéresse pas de faire un spectacle.»
Céline Meylan, la chanteuse du groupe Sphère
Quand le groupe commence son programme, quelques personnes ont déjà les bras levés. D’autres, recueillies, ferment les yeux. Les paroles des chansons défilent au-dessus de la scène. Debout, l’assistance reprend le refrain de louange: «Dieu est le plus grand, Dieu est le plus fort […] Notre Dieu guérit. Puissant, il agit. Oh, Dieu, notre Dieu.»
Les fidèles continuent d’affluer et, à 18 h 20, l’antre du D! compte 150 personnes. «50% des participants viennent de notre communauté; 50% viennent d’autres Eglises ou sont en questionnement vis-à-vis de Dieu. Amener l’Eglise où elle n’est pas, c’est dans notre ADN» détaille Marc Gallay.
«Je viens ici pour la deuxième fois. J’y trouve une liberté, une ouverture sans préjugés»
Flora, 19 ans
Au fond de la salle, les fumigènes sont enclenchés. La scène disparaît sous une fumée blanche. «Oh Dieu. Tu es infiniment grand. Eternel puissant, roi majestueux», proclame la foule. A la batterie, Sébastien Weber chauffe la salle. Le rythme monte en puissance. De plus en plus de mains se lèvent. «L’idée est que le public puisse participer. On choisit des titres qu’ils connaissent», détaille Siméon Freymond, guitariste du groupe.
Le culte sans protocole
Quand le concert s’arrête, il est près de 18 h 40. Des vidéos sur les groupes de jeunes sont projetées, puis le groupe entame 10 minutes du Notre Père, repris en boucle par la salle. Les boules à facettes se sont remises à tourner, elles diffractent leur lumière blanche sur les visages. «Je viens ici pour la deuxième fois confie Flora, 19 ans. J’y trouve une liberté, une ouverture sans préjugés. Ce matin, je suis aussi allée à l’église pour le culte, mais il y a beaucoup de protocole.»
«Ici, je sens mieux la présence de Dieu.»
Flora, 19 ans
«Le message est accessible. Les lumières, le son, tout ça montre que l’Eglise est pour tout le monde», renchérit son amie Karen, 22 ans, qui rentre avec Flora d’un séjour d’études de deux ans en Californie. «Dans les églises traditionnelles, je trouve que ça manque de feu. Au D!, je peux mieux louer Dieu. Je retrouve des gens de mon âge, mais aussi la modernité du monde. Le rock, les lasers… Ici, c’est l’Eglise 2.0!» s’enthousiasme Florian Barras, 31 ans, ancien étudiant de l’EPFL. Il vit désormais à Zurich, mais revient à Lausanne pour le culte du D!, où il retrouve des amis. «C’est un réseau qui s’entraide. L’ambiance me rappelle les communautés de Londres, où on insiste beaucoup sur la guérison et le témoignage», conclut le jeune homme.
«Plus je perds, plus je gagne en Dieu.»
Christine Gallay
Prédicatrice du jour, épouse du pasteur du Gospel Center Marc Gallay
Au D! aussi, la guérison est au cœur de la soirée. «Certaines personnes sont venues avec une grosse fatigue, voire une dépression. Je demande à Dieu de les guérir», proclame David Klopfenstein, membre du Gospel Center qui monte plusieurs fois sur scène pour prendre la parole avec ferveur. Outre la puissance agissante de l’Esprit, le témoignage est l’autre fil rouge de la soirée. A 19 h, Christine Gallay, prédicatrice du jour, évoque ses difficultés personnelles: «Plus je perds, plus je gagne en Dieu», assure-t-elle.
Quand le groupe Sphère revient sur scène pour un dernier morceau, il est 19 h 45. L’ambiance est celle d’une fin de concert au moment des rappels.
«Aller là où les gens se trouvent»
«Les cultes du dimanche soir au D! se situent dans la droite ligne de la stratégie des Eglises évangéliques: être attrayants.»
Jörg Stolz
Professeur de sociologie des religions à l’UNIL.
Pour les évangéliques, un lieu de culte n’est pas sacré rappelle Jörg Stolz, professeur de sociologie des religions à l’UNIL. «Une boîte de nuit ne pose donc aucun problème. Il s’agit pour eux d’aller là où les gens se trouvent. En ce sens, plus c’est branché, mieux c’est. Ils organisent des cultes dans des cinémas, des théâtres, des usines… Pour diffuser leur message, ils ont une stratégie très orientée marketing.
Par exemple à Zurich, l’International Christian Fellowship (ICF) conçoit un culte différent pour chaque tranche d’âge car on n’attire pas de la même manière un enfant de 7 à 12 ans, un adolescent de 13 à 15 ans ou de 16 à 19 ans, et une personne de 25 ans et plus.» Au D!, les enfants ont leur espace à part, tout comme les jeunes et les ados, qui, pendant la prédication, reçoivent un enseignement sur mesure dans les loges de la disco.
Sur le fond, la théologie de la plupart des groupes évangéliques demeure très conservatrice. Sur la forme, ils sont très modernes.
Jörg Stolz
Professeur de sociologie des religions à l’UNIL.
«Sur le fond, la théologie de la plupart des groupes évangéliques demeure très conservatrice, par exemple sur la condamnation du sexe avant le mariage, reprend-il. Mais, sur la forme, ils sont très modernes. Leur message privilégie le témoignage à l’exégèse, le vécu personnel à l’interprétation historico-critique. Pour toucher les jeunes, ils leur proposent une offre parallèle à ce qui existe dans le monde contemporain: si les jeunes aiment le rap, plutôt que de les voir partir dans des concerts de rap séculier, ils leur proposent du rap chrétien. C’est un milieu, et ils s’adressent en grande partie à leurs propres enfants. Les personnes qui viennent de l’extérieur sont souvent attirées par la chaleur humaine, par les liens d’amitié qui se tissent et par les émotions fortes suscitées dans ces rassemblements.»
Samuel Socquet
Article paru dans le quotidien « 24 heures » le 26.06.2016