Les jardins partagés signent la nécessité de retrouver un lien avec la terre et les cycles naturels, même au cœur des villes. Issus d’une mouvance qui mêle conscience écologie et engagement citoyen, ces jardinssont des espaces de proximité où l’autogestion est de mise. Ils sont aussi de formidables viviers de convivialité et de partage des savoirs.
Entre des tours de verre, au pied d’une barre d’immeubles, sur un ancien parking ou au fond d’une impasses, on voit fleurir dans les grandes villes occidentales des parcelles de quelques m² où poussent tomates, courgettes, tournesols, roquettes et autres capucines… Des jardins lilliputiens ? Non, des « jardins partagés », un phénomène qui touche aussi la France depuis une dizaine d’années. Au point que la loi du 14 octobre 2003 leur reconnaît une existence juridique. Aux côtés des jardins familiaux et d’insertion, les jardins partagés y sont définis comme « des jardins créés ou animés collectivement, ayant pour objet de développer des liens sociaux de proximité par le biais d’activités sociales, culturelles ou éducatives, et étant accessibles au public ».
Phénomène lié à une conscience écologique aujourd’hui plus largement partagée, les élus des grandes villes de France en ont compris l’enjeu. A Montpellier et Paris, le label « Main verte » permet aux porteurs de projet de bénéficier d’un appui technique et logistique, à Lyon la mission d’écologie urbaine encourage la valorisation des jardins partagés, tandis que Lille et Brest financent des missions d’appui. Un peu partout, des ateliers d’éco-jardinage sont proposés, pour accompagner la mise en œuvre de ces jardins en principe conçus sans produit phytosanitaire, voire avec des semences bio.
Les jardins partagés, espaces de socialisation
Dans une ville, les espaces verts sont des lieux de socialisation : on le constate dans n’importe quel square. Espace vert singulier, un jardin partagé ne rassemble pas des usagers d’un espace mis à leur disposition, mais des acteurs d’un lieu que chacun contribue à faire exister. « C’est un des seuls lieux où classes sociales et générations se côtoient aussi facilement… Le soutien aux jardins partagés est un choix de politique publique, au même titre que l’action sociale ou culturelle : il détermine le modèle de ville vers lequel on souhaite tendre » estime Laurence Baudelet, ethno-urbaniste, chargée de mission au sein de l’association Graine de Jardins.
Ecoles du « vivre ensemble », les jardins partagés impulsent une dynamique de quartier. La plupart du temps, ils comprennent une ou plusieurs parcelles pédagogiques mises à disposition des écoles, centres d’animation ou maisons de retraites dans un cadre d’éducation à l’environnement. Un jardin partagé est donc ouvert sur la cité, il crée du lien.
Une école de la conscience écologique
Compte tenu de la rareté du terrain, les parcelles individuelles des jardins partagés citadins dépassent rarement quelques m². Si leur production ne permet pas de se nourrir, le jardinage y est prétexte à la rencontre, mais aussi manière de se (re)connecter à la nature. « Ayant toujours vécu en appartement, je n’avais jamais jardiné. Devoir penser semis et récoltes, même à une toute petite échelle, change mon regard sur l’alimentation » explique Caroline, membre du Trèfle d’Eole à Paris, devenue incollable en légumes de saison mais aussi en aromates asiatiques, plantés par un voisin issu de la communauté chinoise du quartier. « Quelqu’un que je n’aurais jamais eu l’occasion de rencontrer ailleurs », précise celle qui a aussi appris la différence entre biner et sarcler grâce à son voisin de parcelle, un monsieur de 80 ans, véritable puits de connaissances en techniques de jardinage.
Transmission du savoir
La transmission du savoir lié à la terre est centrale dans un jardin partagé, où les plus expérimentés guident les novices. Ce savoir s’acquiert aussi par la pratique et l’observation, saison après saison, de ses propres plantations : un jardin est une école de la patience. On y apprend un temps qui n’y est pas celui de la ville, et « cette nécessité de tenir compte du facteur de la saisonnalité est complètement sorti des mentalités, tout comme celui d’un rythme d’une activité de loisir calée sur des facteurs extérieurs impondérables et non sur son propre désir » remarque Georges, qui préfère « travailler la terre quand elle est disposée à l’être : plutôt que d’arroser une terre sèche, j’attends qu’il pleuve pour la retourner ». Acteur de plusieurs jardins partagés, partage ses connaissances avec ses voisins de parcelles qui découvrent qu’un jardin peut vivre au cœur de l’hiver grâce à poireaux, choux, topinambours ou mâche…
En ville, mais aussi à la campagne
Les jardins partagés poussent aussi à la campagne : en Midi-Pyrénnées, plus de la moitié des porteurs de projets sont issus du milieu rural, où l’isolement et la solitude sévissent aussi. L’enjeu de sociabilité est donc également au cœur de ces projets, qui proposent un lieu où vivre du temps collectif. Les parcelles disponibles, généralement plus grandes qu’en ville, permettent de devenir acteur de son environnement et de préserver sa qualité tout en développant une culture vivrière et de proximité. En effet, « le modèle d’une ville hyper dense avec une campagne qui la nourrit grâce à des cultures intensives a produit beaucoup d’aberrations… Ce modèle est aujourd’hui totalement dépassé » conclut Laurence Baudelet.
Fruits ou légumes?
Le terrain La recherche du terrain est le socle du projet. « La ville se refait sur elle-même en permanence, chaque jour des friches se libèrent » rappelle Laurence Baudelet. Consulter le cadastre permet de connaître la disponibilité, pérenne ou temporaire, du lieu visé, dont il peut être utile de faire analyser le sol pour connaître sa nature et sa santé.
La mobilisation Un jardin partagé démarre avec l’engagement de quelques-uns, mais il prendra son sens avec la mobilisation des habitants du quartier qu’il convient d’associer pour faire vivre le jardin. Si l’on crée une association, cette dernière peut inciter une commune à préempter un terrain.
Les possibles Parcelle potagère ou dédiée à la rose, petits fruitiers ou carré des simples, tout est possible et dépend des goûts du jardinier et des découvertes qu’il fait avec ses voisins.
Un jardin tridimensionnel Sur une surface limitée, pensez le jardinage de manière tridimensionnelle : certains légumes (tomates, courgettes, dont quelques pieds suffisent à donner des kilos de récoltes) peuvent être cultivés verticalement pour libérer de l’espace au sol.
La rotation des cultures Vous pouvez aussi jouer sur la rotation rapide des cultures : la plantation en carré permet un jardin toujours végétalisé. Réservez les rampantes (citrouilles…) pour la parcelle collective du jardin.
Samuel Socquet
Article paru en mai 2009 dans Plantes et Santé n°91 • Pour aller plus loin, le site du réseau français des jardins partagés www.jardins-partages.org • Découvrir des expériences à travers le monde de jardins potagers urbains.