«Un livre absolument génial,
une enquête très sérieuse
et méticuleuse»
David Artur, France 2.
10 à 15% des enfants entendent des voix ou voient des personnages invisibles, selon les études scientifiques contemporaines, contre 2% des les adultes. Comment ces enfants vivent-ils ces phénomènes ? Leurs perceptions relèvent-elles d’une imagination débordante? Annoncent-elles une forme de psychose? Comment réagir? Qu’en est-il dans d’autres cultures?
Pour répondre à ces questions, je suis allé à la rencontre d’enfants, qui m’ont raconté leurs expériences, comme je l’explique dans l’avant-propos de l’ouvrage (lire ci-dessous). Afin d’éclairer leurs vécus, j’ai consulté des scientifiques qui conduisent des recherches sur les liens entre l’enfance et le monde invisible. J’ai aussi interrogé notre rapport occidental à ces phénomènes à la lumière d’autres cultures, où l’invisible fait partie du quotidien. Enfin, j’ai interrogé des psys qui s’expriment sur ces perceptions et donnent des pistes pour accompagner au mieux le vécu de ces enfants.
Contact avec des défunts, entente de voix, sorties hors du corps, réminiscence de vies passées, initiations rituelles, mysticisme, compagnons invisibles… Dans ce grand reportage, j’ai tenté d’éviter les deux écueils du déni et de la fascination, pour vous emmener en voyage, à la découverte du merveilleux vécu par certains enfants.
Avant-propos de l’ouvrage
Une enquête aux frontières du « merveilleux » ? Tel qu’utilisé ici, le terme mérite précision. Le merveilleux renvoie bien sûr au monde du surnaturel, c’est-à-dire à tout ce que l’on ne sait pas expliquer de façon naturelle et conventionnelle. En littérature, le merveilleux c’est le fantastique. Mais ce n’est pas l’analyse de récits de science-fiction, imaginés par des adultes, qui vous est proposée ici ; cette enquête vous emmène au cœur de l’expérience d’enfants qui affirment être en contact avec le(s) monde(s) invisible(s).
Dans le cadre de ce grand reportage, j’ai rencontré des enfants qui rapportent avoir traversé toutes sortes d’expériences étranges : avoir un ami invisible, entretenir une relation avec un ancêtre décédé, partir en voyage dans le temps, quitter son corps pour observer une miette de pain sur la moquette ou pour aller visiter les mondes célestes, parler à l’esprit des arbres ou à des entités venues d’autres mondes, être mort puis être revenu à la vie, se définir comme un enfant « indigo », avoir des souvenirs d’une vie passée ou encore vivre des expériences mystiques.
Le matérialisme du merveilleux
Leurs expériences sont « extraordinaires », c’est-à-dire « hors de l’ordre » au sens étymologique du terme (ordo signifie « ordre » en latin) : ces enfants relatent un vécu qui défie tout système de classification. En outre, leurs expériences sont complexes et relèvent parfois de plusieurs types de perceptions. Oui, les récits que vous allez lire relèvent bien du domaine de la perception : les enfants qui ont accepté de se confier livrent des expériences vécues dans leur corps, perçues avec leurs cinq sens. C’est en cela que le livre que vous tenez entre les mains ne relève pas de la science-fiction mais bien du merveilleux, au sens où l’entend le chercheur Jean-Bruno Renard, professeur de sociologie à l’Université de Montpellier et auteur d’un essai justement intitulé Le Merveilleux – un terme par lequel ce sociologue désigne un événement qui s’inscrit dans le domaine perceptif de celui qui le vit.
Le merveilleux est donc un phénomène sensible. Les traces visuelles, olfactives, tactiles, auditives qu’il laisse chez qui le vit sont autant de preuves de sa réalité. Il existe donc bien un matérialisme du merveilleux et cela en fait un monde objectal, phénoménal. Mais comme ce monde repose sur des témoignages qui mêlent le bizarre et le normal, le rationnel et l’irrationnel, le visible et l’invisible, le merveilleux demeure un « défi cognitif » qui « bouleverse notre psychisme », affirme le chercheur qui conclut en citant le poète surréaliste André Breton : le merveilleux « fait prendre en suspicion notre système de référence ordinaire ».
Voyage en territoires d’enfance
Pour entrer dans le merveilleux, monde sensible et perceptible, il faut donc passer par le témoignage : la rencontre est le fil conducteur de cet ouvrage, le subjectif sa matière première. Pour chacune des thématiques, mon point de départ a toujours été la rencontre avec un enfant et le récit de son expérience qu’il a accepté de me livrer – parfois, ce sont aussi des adultes qui se souviennent de leur enfance. Pour respecter ces récits, je me suis efforcé de me tenir au plus près de leur vécu. Néanmoins, vous verrez que dans les récits quelques digressions s’intercalent souvent : elles permettent de faire des liens avec d’autres vécus, ou avec l’état actuel de la recherche, et ainsi replacer l’expérience individuelle dans un ensemble plus vaste – on apprend ainsi que près d’un enfant sur quatre entendrait des voix…
Pour la plupart, les études scientifiques que je mentionne sont issues de recherches d’universitaires anglo-saxons, car ces sujets demeurent encore peu abordés dans le domaine académique français. Ces études ne visent pas à prouver l’existence des phénomènes – aux yeux des enfants ceux-ci existent, puisqu’ils les vivent – mais plutôt à essayer de les penser, de mieux les comprendre. Une étude en particulier m’a fourni des renseignements précieux, celle d’un groupe de chercheurs dirigé par le Dr Sandra Escher, avec le professeur en psychiatrie Marius Romme. Pendant trois ans, ils ont analysé de manière systématique le contenu des voix et des visions perçues par des enfants européens de plus de 8 ans . Ils ont aussi cherché à comprendre quand et comment se produisaient ces phénomènes. Leurs résultats permettent de comparer les témoignages recueillis ici avec les expériences vécues par d’autres enfants.
Regards de psys
Un éclairage important est celui que nous apportent les psys, qu’ils soient psychanalystes comme Donald Winnicott, psychiatres comme Serge Tribolet, pédopsychiatres, psychothérapeutes ou encore psychologues cliniciens comme Renaud Évrard ou Patricia Serin, etc. Je les ai interrogés sur la manière dont ils interprètent ces expériences singulières de contacts d’enfants avec le(s) monde(s) invisible(s).
Par ailleurs, déplacer notre regard d’Occidental du xxie siècle m’a paru indispensable car si au niveau individuel l’enfance est un lieu de souvenirs (pour l’adulte), sur un plan collectif elle est un espace de projections très fort pour une société. Or, l’accueil des expériences bizarres vécues par l’enfant ne va pas toujours de soi dans les sociétés occidentales, ou occidentalisées. En revanche, d’autres cultures (les guerriers Massaï du Kenya, les Indiens Kogis de Colombie ou les moines de la forêt en Thaïlande) et d’autres époques (le Moyen Âge où l’ère préchrétienne) montrent que les pratiques humaines sont variées et appellent à ne pas figer nos représentations.
Enfin, dans un dernier chapitre, je propose quelques pistes aux enfants sur la manière dont ils peuvent faire face à ces phénomènes, et aux parents et aux thérapeutes pour donner à l’enfant un espace sécurisant lui permettant de déployer son expérience, d’éprouver ses perceptions, tout en l’aidant à vivre aussi dans la réalité partagée par tous.
En évitant les écueils du déni et de la fascination, la question est bien d’accueillir avec ouverture l’expérience de l’enfant, pour lui permettre de l’exprimer.
Samuel Socquet
Ce texte est l’avant-propos de « Enfance et surnaturel » (p. 9-13), un ouvrage de Samuel Socquet paru aux Editions La Martinière,