“Certifié compétent !”

Accompagner une personne en situation de handicap mental dans la certification de ses compétences : depuis 2005, le Centre de la Gabrielle, œuvre sociale de la Mutualité fonction publique, accompagne des travailleurs en situation de handicap mental dans le processus long et exigeant de la validation de leurs acquis et de leur expérience. L’objectif : permettre à ces personnes travaillant en Ésat (1) ou en entreprise adaptée (2) d’obtenir un diplôme ou un titre dans leur domaine d’activité professionnelle, et leur ouvrir de nouvelles perspectives d’insertion dans le milieu ordinaire du travail.

Si la terminologie “personne en situation de handicap” est importante, c’est parce qu’un handicap ne peut pas servir à définir une identité, et que personne ne peut lui être assimilé. L’expression souligne par ailleurs qu’il est ici question de l’environnement et de la situation de la personne : on est handicapé en référence à un contexte précis. On peut ainsi être handicapé dans un certain environnement, mais pas dans un autre, etc. L’expression “personne en situation de handicap” offre donc une acceptation plus environnementale et responsable. Enfin, cette terminologie permet de mettre en évidence une réalité qui a parfois tendance à être oubliée : le handicap n’est pas un état nécessairement figé, une donnée définitive, mais au contraire un processus interactif où l’environnement joue un rôle fondamental, avec les réponses
qu’il apporte – ou pas. L ’idéal serait bien sûr que nous n’ayons pas besoin de discrimination positive, ni de réseau d’aide, mais en l’état actuel de la société, les deux semblent aujourd’hui nécessaires à la bonne intégration des personnes. C’est bien parce qu’il y a discrimination, et lutte contre celle-ci, que ces termes sont un enjeu important.
L’enjeu du regard
C’est pourquoi aborder le thème de la qualification des travailleurs en situation de handicap mental nécessite de décentrer le regard porté sur le handicap. Cela est indispensable pour comprendre qu’une personne, malgré ses difficultés cognitives, est à même de développer certaines compétences, et que celles-ci peuvent être évaluées.
Les savoir-faire des travailleurs en situation de handicap mental ont longtemps été ignorés, comme le souligne Bernadette Grosyeux, directrice générale du Centre de la Gabrielle et des Ateliers du parc de Claye : en effet, ce n’est pas parce qu’une personne a des difficultés à conceptualiser, à écrire ou à dire, qu’elle n’a pas les capacités à faire. Afin de lutter contre les discriminations dont sont victimes ces personnes dans le monde du travail, il s’agit notamment de reconnaître les potentiels et les compétences, là où d’aucuns ne reconnaissent que des manques ou des difficultés, comme le précise Bernadette Grosyeux.
L ’acquisition des savoirs étant un des vecteurs fondamentaux pour écarter la discrimination, l’intégration de travailleurs en situation de handicap mental au processus de VAE (validation des acquis de l’expérience) est un important facteur de changement dans la posture vis-à-vis du handicap.
La VAE permet, pour la première fois, d’envisager la possibilité pour les personnes en situation de handicap mental travaillant en Ésat de passer des certifications, sans avoir à suivre le chemin académique, et de développer une politique de formation tout au long de la vie. Une révolution dans le monde du handicap, qui jusqu’alors était considéré comme à part, frappé d’“irrémédiable”, figé et sans possibilité d’évolution, alors même que le désir d’apprendre est bien présent, comme le confirment les propos de Patrick Kasprzak, ouvrier à l’Ésat duCentre de la Gabrielle et candidat ayant obtenu une partie du CAP agricole “travaux paysagers” : “Mon métier me plait, et j’avais envie de valoriser mes expériences, d’ apprendre plus. J’ ai déjà travaillé en entreprise, mais le patron n’ a pas cru en mes capacités à cause de mon handicap. Je voulais prouver que je pouvais y arriver. J’ai validé plus de la moitié de mon diplôme, alors je continue de travailler régulièrement les noms des plantes pour obtenir le CAP, car je souhaiterais travailler à nouveau dans une entreprise qui permette d’évoluer.”
La validation de l’expérience professionnelle d’un travailleur en situation de handicap prend en compte son désir d’évolution et permet de sortir d’un déterminisme selon lequel handicap mental et qualification professionnelle seraient incompatibles. Pour ces personnes, n’ayant pour la plupart connu que l’échec scolaire, la reconnaissance de leurs compétences est un facteur important d’intégration sociale et, à terme, d’évolution professionnelle. La VAE devrait en effet renforcer la capacité à agir des individus ; elle pose une reconnaissance leur permettant d’occuper une place dans la cité et d’exercer plus de liberté dans leurs choix de vie : vivre seul, se déplacer librement et… croire en soi.
L’enjeu de l’emploi
Si l’emploi est intimement lié à l’autonomisation, il est avant tout, dans notre société, facteur d’identité : “C’ est dans le travail et tout autant dans l’ élaboration de projets personnels et collectifs que nous créons une identité [car] le travail a une importance essentielle pour la grande majorité d’ entre nous, dans la mesure où il donne à la fois l’ estime de nous-mêmes et l’estime des autres”, écrit Alain Touraine (3) en 2002, année où justement était votée la loi de “modernisation sociale”, offrant la possibilité d’obtenir validation de ses acquis et de son expérience, quelle qu’elle soit (salariée, bénévole, occupationnelle, etc.), alors que la validation des acquis professionnels (Vap), une des ancêtres de la VAE, ne reconnaissait que l’expérience professionnelle.
1,4 million de personnes sont en situation de handicap mental, déficiences intellectuelles ou psychiques confondues (source Handicaps, incapacités, dépendance 1999). Parmi cette population, les personnes présentant des déficiences psychiques ont le taux d’emploi le plus faible : 30 % des hommes, 15 % des femmes (4). À l’échelle européenne, on estime que seules 20 % des personnes en situation de handicap lourd, notamment de handicap mental, ont des chances de trouver un emploi, contre 68 % de ceux qui vivent avec un handicap léger ou un problème de santé de longue durée.
Le regard porté sur le handicap, quand il est mental, stigmatise le travailleur ; sa capacité à obtenir un diplôme sera donc un important facteur du changement de ce regard porté sur lui. Grégory Bourdon, travailleur de l’entreprise adaptée Les Ateliers du Parc de Claye, qui à l’issue de la VAE a obtenu le CAP “travaux paysagers”, affirme ainsi vouloir montrer à ceux qui n’ont pas cru en lui qu’il pouvait accéder à des diplômes. Parce qu’il a le désir d’évoluer en termes de qualification, de ne pas rester sur ses acquis.
Soulignons que valider son expérience est un processus long et exigeant pour n’importe quel candidat, comme tendent à le prouver les conclusions du rapport Besson sur le sujet (5) : ainsi, sur 100 candidats recevables à un titre de niveau V (type CAP) au premier semestre 2005, seuls 75 avaient été présentés devant un jury en 2007. Sur 100 personnes présentées devant un jury, 8 ont échoué, 35 ont reçu une validation partielle et 58 une validation totale (6). Comme en témoigne encore Grégory Bourdon : “L’écriture des dossiers est complexe, les questions parfois difficiles à comprendre. Les mois de préparation ont été très éprouvants pour moi. C’était un travail énorme, surtout psychologiquement. L’accompagnement m’a beaucoup aidé.”
Un accompagnement adapté
Afin d’accompagner au mieux les travailleurs en situation de handicap mental du Centre de la Gabrielle dans ce difficile processus de la VAE, le parti pris a été de s’inscrire dans le dispositif de droit commun. Cette approche se veut avant tout réglementaire : la personne en situation de handicap mental n’est pas ici considérée à travers son handicap, mais comme citoyen sujet de droit, aussi la question s’est naturellement inscrite dans le cadre général de droit commun. Christine Dufrenne, inspectrice de l’Éducation nationale responsable du Cava (7) de Créteil confirme qu’“il n’ a jamais été question d’une VAE adaptée”, les diplômes ayant été obtenus avec les mêmes exigences de savoirs que pour n’importe quel candidat.
Seules ont été adaptées les modalités d’accompagnement, pour que tous les bénéficiaires puissent accéder à la VAE. Ainsi, les 33 candidats du Centre de la Gabrielle ont pu bénéficier en moyenne de 102 heures d’accompagnement (132,5 pour le CAP “entretien des articles textiles en entreprises industrielles”, 74,5 pour le CAP agricole “travaux paysagers”, 100 heures pour le titre professionnel “agent de restauration”).
Chaque candidat a décidé lui-même de suivre un processus de validation de son expérience, mais il a fallu lier cette envie personnelle à une dynamique collective, tant les dossiers de candidature sont complexes.
Comme le souligne en effet Grégory Bourdon : “Je pourrais tailler une haie les yeux fermés car j’ ai l’ habitude, c’ est mon métier . Mais l’ écrire sur une feuille de papier, c’est beaucoup plus compliqué pour moi. Là, j’ai besoin d’aide.” Les candidats sont donc accompagnés dans la rédaction de leur dossier par les organismes accompagnateurs (Cava, Afpa et CFPPA), et par des bénévoles de l’association Agir ABCD, qui avaient pour tâche de retranscrire fidèlement la parole des personnes les plus en difficulté à l’écrit.
“Les dossiers de candidature requièrent parfois un important travail de description du geste professionnel, comme pour le CAP “entretien des articles textiles”, qui compte une bonne trentaine de pages” précise Jean-Raphaël Loire, chef du projet européen Éclas.
“C’ est d’ ailleurs ce montage du dossier qui semblait le plus insurmontable aux candidats, à cause de leurs difficultés à l’ écrit qui les renvoient à un passé émaillé d’ échecs scolaires répétés”, observe Jean-Yves Douguet, responsable de l’atelier horticulture de l’Ésat du Centre de la Gabrielle. Pour Valérie Bischoff, directrice de l’Ésat, “le processus de VAE confirme ce savoir-faire réel que les travailleurs acquièrent dans nos structures. Un savoir-faire habituellement peu mis en avant, encore moins validé par des diplômes. La démarche, proposée à tous, a donné lieu à un accompagnement adapté à chaque travailleur ayant émis le souhait d’ intégrer le processus. Elle a permis de les conforter dans leur expérience professionnelle, tout en leur apportant plus de sérénité vis-à-vis de leur statut de travailleur : effectivement, l’ obtention d’ un titre professionnel ou d’ un diplôme est la reconnaissance de leurs capacités, qui peu- vent être transposables en milieu ordinaire”.
Pour accompagner au mieux les candidats, leurs chefs d’équipe ont été formés et ont su fournir, tout au long des deux années d’accompagnement à la VAE, un réel effort de pédagogie et de formation continue. Cet engagement au plus près des travailleurs, pendant les deux années de préparation, s’est fait en alliant les processus de production et ceux d’accompagnement, et a suscité une réflexion profonde de la part des équipes encadrantes et les a conduites à conforter la dimension d’accompagnement. Une véritable émulation s’est mise en place auprès du personnel d’encadrement, qui s’est lui-même senti encouragé par les résultats obtenus par les candidats.
Danièle Moreau, directrice des Ateliers du parc de Claye, souligne que l’accompagnement des salariés a consisté à insister sur les domaines où les difficultés avaient été repérées. Ainsi, la reconnaissance des végétaux pour les candidats au CAP agricole “travaux paysagers” a-t-elle été particulièrement approfondie, sur site comme lors de formations spécifiques.
Si les validations partielles ont pu, naturellement, décevoir certains salariés, tous ont déclare avoir beaucoup appris au cours du processus d’accompagnement. Aujourd’hui, ils estiment vraiment connaître leur métier, et ont acquis en autonomie. Ils éprouvent aussi beaucoup de fierté d’avoir mené, par leurs propres efforts, un processus diplômant à son terme.
Le savoir et le discours sur son savoir
Apprendre à parler et à s’exprimer est une chose complexe, pour tout un chacun. Les candidats ont donc bénéficié d’un entraînement à la prise de parole, afin de leur permettre de s’exprimer plus facilement sur les gestes liés à leur métier ; les personnes ayant des difficultés d’élocution ont été spécialement accompagnées, pour apprendre à parler moins vite, à articuler plus clairement et à prendre de l’assurance à l’oral.
Pour autant, le groupe de travail ayant accompagné ce projet au Centre de la Gabrielle depuis 2005 a vite mis en avant la nécessité de dissocier le savoir et la parole qu’on est capable de produire sur son savoir. Quiconque doit expliquer son propre travail se trouve vite limité dans ses explications : ceux qui utilisent un ordinateur au quotidien savent utiliser les programmes dont ils ont besoin, mais la plupart seraient incapables d’en expliquer le fonctionnement ; un travailleur dans une blanchisserie choisit un programme en fonction du linge, mais ne peut pas expliquer, dans la plupart des cas, la réaction moléculaire du nettoyage, etc.
Dans cet accompagnement à la VAE, il a donc été primordial de souligner qu’il n’y a pas “des gens qui savent expliquer, d’autres pas”, car l’explication n’est toujours donnée qu’à un certain niveau. En effet, nous n’utilisons pas les mêmes circuits neurologiques pour expliquer ce que nous faisons et pour le faire ; la plupart des tâches effectuées dans une journée se passant d’explication sont réalisées en dehors des circuits symboliques de représentation.
Les automatismes qui s’installent dans toute activité professionnelle peuvent donc empêcher une explication rigoureuse. En effet, n’importe quel travailleur accomplit ses tâches routinières sans avoir besoin d’en justifier consciemment la raison, ou les justifie par une raison “de situation” (tel programme de machine à laver pour tel client). Comme le souligne Jean-Raphaël Loire, il ne s’agissait donc pas d’apprendre aux candidats un métier – en effet, pour prétendre à la VAE, tout candidat doit justifier d’au moins trois années d’expérience – mais de leur faire prendre conscience de leurs gestes professionnels.
Cette dimension pédagogique a donc été remise au centre de la relation avec les candidats pour qui il est souvent difficile de décomposer par la parole un geste connu, tâche par tâche, ou de lui donner une explication. Cet enjeu de la formation est d’autant plus crucial pour l’Ésat et l’entreprise adaptée, par nature confrontés à deux logiques, l’une pédagogique et sociale, l’autre économique.
Le temps de l’évaluation
L es difficultés psychologiques propres à toute évaluation (stress, perte de moyens, etc.) peuvent devenir des obstacles insurmontables: certaines personnes deviennent par exemple incapables d’effectuer un geste qui, en temps ordinaire, ne leur pose pas problème. Les difficultés psychologiques spécifiques aux personnes en situation de handicap mental sont renforcées par le regard disqualifiant généralement porté sur elles.
Dans le cadre de l’évaluation, il est apparu que le candidat devait se sentir en sécurité. Pour cette raison, le jury a accepté de venir sur le lieu familier de travail, comme les cuisines du Centre de la Gabrielle pour la validation du titre professionnel “agent de restauration”. Lorsque l’évaluation se déroulait ailleurs, les candidats qui le souhaitaient ont pu être accompagnés par une personne familière, comme leur référent VAE.
Les bonnes pratiques
Afin de formaliser cet accompagnement à la VAE auprès des personnes en situation de handicap mental, le groupe de travail du Centre de la Gabrielle a listé un certain nombre de bonnes pratiques : • la possibilité de recourir à un écrivain public pour constituer le
dossier ;
• la formation des professionnels encadrants : qu’est-ce qui est attendu par l’organisme certificateur ? Quels sont les référentiels du métier visés ?
• un suivi personnalisé de chaque candidat, afin de mettre en avant le travail sans s’attacher au résultat final ;
• la possibilité de faire valider une partie du diplôme ;
• la mise en place des supports d’accompagnement pour aider à la conceptualisation (des books photos ont par exemple été constitués afin de décomposer le geste en l’explicitant) ;
• des échanges réguliers avec les centres accompagnateurs ;
• la possibilité que l’entretien avec le jury se déroule sur le lieu habituel de travail des candidats (en outre du tiers de temps supplémentaire devant le jury accordé par la loi) ;
• enfin, la bienveillance de l’environnement est primordiale de la part de toutes les personnes accompagnant le travailleur.
Les résultats : pour une tentative d’évaluation
Ce processus de validation des acquis de l’expérience a été suivi pendant deux ans par 33 personnes, avec un taux de handicap reconnu de 50 à 80 %, travaillant en Ésat et en entreprise adaptée. Seules 4 d’entre elles ont abandonné le processus en cours de route. Parmi les 22 qui se sont présentées au jury, 13 ont obtenu l’intégralité de leur certification : 4 pour le titre professionnel “Agent de restauration”, 8 pour le CAP “entretien des articles textiles en entreprises industrielles”, un pour le CAP agricole “travaux paysagers”, ce candidat se destinant à être chef d’équipe. Enfin, 9 personnes ont obtenu une validation partielle de ce même CAP agricole. L’une d’elles a d’ores et déjà obtenu un CDI dans une entreprise, et les huit autres ont tenté de valider l’intégralité du CAP lors du jury de l’automne 2008, avec sept autres candidats.
Environ 60 % des personnes diplômées ont exprimé leur désir de trouver un travail en milieu ordinaire, à l’image de Prisca Abel, candidate au CAP “entretien des articles textiles”, qui affirme : “Ma motivation pour persévérer jusqu’ au bout a été l’ idée de pouvoir travailler ailleurs, parce que mon désir est avant tout de quitter l’ Ésat.” D’autres ne souhaitent pas non plus quitter l’Ésat, ou n’aspirent pas à quitter l’entreprise adaptée, mais attendent de leur diplôme une revalorisation salariale et une reconnaissance. Les salariés de l’entreprise adaptée ont ainsi obtenu une augmentation de 6 % de leur salaire brut, comme le prévoit la convention collective. La reconnaissance de leur diplôme s’est traduite par un avenant au contrat de travail des candidats ayant obtenu un CAP : il y est désormais fait mention de leur qualité d’ouvrier qualifié.
Sur le plan qualitatif, Jean-Raphaël Loire fait remarquer que les résultats sont aussi éloquents que les chiffres. Ainsi, ce processus de validation de leur expérience a suscité chez les candidats une grande curiosité, générant un désir de savoir, de comprendre leurs gestes professionnels. Indépendamment de l’éventuelle obtention du diplôme, le fait d’être engagés dans le parcours de la VAE a engendré chez eux une meilleure autonomie dans leurs tâches quotidiennes, ainsi qu’une plus grande confiance en eux.
Les candidats ont souvent partagé la même volonté de se perfectionner techniquement, comme Nathalie Garcia, titulaire du CAP “entretien des articles textiles”, qui affirme à propos de
la préparation à la VAE qu’elle a appris de nouvelles choses sur son métier, avec le chef d’atelier et sa monitrice, lesquels lui donnaient des conseils pour bien faire le travail. Elle a également appris à “bien parler”.
Communiquer sur son savoir et parler de son savoir-faire mobilisent bien des compétences autres que le savoir-faire lui-même. On voit ici comment l’accompagnement à la VAE, en tant que tel, développe des compétences supplémentaires.
Perspectives : pour une plateforme régionale
Ces vingt-deux candidats en situation de handicap mental ayant obtenu tout ou partie d’un diplôme ou d’un titre font partie des pionniers. Eux qui ont parcouru le long et difficile chemin de VAE sans modèle auquel se référer peuvent devenir des exemples pour leurs collègues. Gageons que leur persévérance ouvrira des perspectives à d’autres travailleurs en situation de handicap mental et confortera leur désir de progresser. Dans cette optique et fort
de son expérience, le Centre de la Gabrielle a décidé d’impulser
un projet de pôle francilien d’accompagnement à la VAE pour les personnes en situation de handicap mental. Intitulé “Cap VAE”, ce projet est cofinancé, entre autres, par le Fonds social européen et des fondations. Rassemblant actuellement douze Ésat et entreprises adaptées de la Région Île-de-France, il vise à accompagner 170 travailleurs en situation de handicap mental sur trois ans. “Cap VAE” a pour objet de les accompagner dans toutes les étapes de la VAE, grâce au maillage d’un réseau efficace avec les associations de bénévoles, les entreprises partenaires et les organismes accompagnateurs. L’accent sera particulièrement mis sur la prise en compte de l’égalité hommes-femmes, la formalisation de la méthodologie, le développement d’outils utilisables par d’autres acteurs, et enfin la proposition de moyens efficaces pour insérer les candidats à la VAE qui le souhaitent dans le monde de l’entreprise.
Demain, une nécessaire évolution
La VAE, par les diplômes et titres qu’elle permet d’obtenir, constitue un outil devant permettre une plus grande égalité. La suite appartient au milieu du travail dit ordinaire : les entreprises seront-elles prêtes à évoluer ? Comme l’affirme en effet Christine Gervasoni,
responsable de la mission handicap au sein du groupe Compass, “il ne sert à rien d’ envisager l’intégration de personnes en situation de handicap mental dans l’entreprise sans prévoir leur évolution. Il s’agit donc aujourd’ hui de passer à l’ étape suivante, c’ est-à-dire intégrer ces travailleurs dans la gestion des compétences, en les faisant
évoluer grâce aux processus de formation, comme n’ importe quels
salariés”. Une étape où l’évolution des mentalités sera primordiale, tout comme la volonté des employeurs, d’autant que l’emploi des personnes en situation de handicap n’est pas nécessairement favorisé par la dynamique économique de l’entreprise (8).
Dans cette optique, la constitution d’un réseau sera également déterminante pour relier les personnes, les organismes accompagnateurs, les agences Pôle emploi, les institutions et les entreprises de la région. Ce maillage d’intervenants est nécessaire, car si le cadre légal est important, il revient désormais aux individus de s’en emparer, pour faire vivre le dispositif.
L’obtention d’un diplôme ou d’un titre professionnel n’offre évidemment aucune garantie d’emploi en milieu ordinaire, mais elle est un premier pas et un pas indispensable à une nécessaire évolution du regard que notre société porte sur la personne en situation de handicap mental. Pour que la notion de handicap s’ancre davantage dans le concept de diversité qui enrichit la relation, au détriment du concept de différence, qui sépare et coupe le lien. Car c’est bien la combinaison des diversités qui contribuera à former une société
plus riche, plus juste.

Samuel Socquet

Focus
Un groupe de travail aux approches croisées: Bernadette Grosyeux, directrice générale du Centre de la Gabrielle et des Ateliers du parc de Claye, précisait lors du colloque “Nouveaux types de valorisation des savoirs” du 13 juin 2008 : “La réflexion que nous avons menée sur la VAE s’est construite autour de quatre grands principes :
• l’interdisciplinarité est toujours de mise dans l’accompagnement des individus au Centre de la Gabrielle : médecins, éducateurs, pédagogues et psychologues travaillent ensemble pour permettre une prise en charge globale.
• le croisement des approches a été essentiel à notre réflexion, qui est à la fois sociologique, cognitive, juridique, mais aussi philosophique.
• la non-objectivation, principe qui découle de ce type d’interrogation philosophique, est une posture qui a guidé notre travail et qui, personnellement, me guide quotidiennement dans mes fonctions. Nous ne nous situons pas dans une dualité sujet-objet, où certaines personnes en situation de handicap seraient l’objet d’une observation, mais bien dans une présence mutuelle et dans une volonté de partager un vécu et des expériences. Dans le domaine du handicap, cette posture de non-objectivation est, de mon point de vue, essentielle : la connaissance acquise dans ce type de groupes de travail n’est pas détachée de ce que je suis. Elle retentit sur ce que je suis. Le sujet n’étant pas différent de l’objet, il n’y a pas de jugement “sur”, mais bien partage d’une unité, celle des hommes et des femmes concernés par des situations de handicap ou handicapantes, dans une conscience citoyenne d’appartenir à un même monde. Les aboutissements de notre groupe de travail sont donc bien le fruit d’une relation.
• l’échange avec nos partenaires européens, dernier grand principe, nous a permis de comprendre nos différences d’approches culturelles, de nous enrichir et surtout de contribuer à l’Europe sociale, un enjeu majeur de la construction européenne.”

Focus
Le Centre de la Gabrielle et les Ateliers du parc de Claye, situés à Claye-Souilly en Seine-et-Marne, accompagnent 400 enfants, adolescents et adultes en situation de handicap mental dans neuf établissements animés par 250 professionnels du secteur médico-social.
Ils ont été créés en 1972 par la Mutualité fonction publique, pour laquelle ils jouent un rôle de témoin et de référence dans le domaine de l’accompagnement des personnes en situation de handicap mental et dans la lutte contre les discriminations. Véritables centres de ressources, ces établissements sont inscrits dans un réseau élargi pour éviter tout repli institutionnel, et ont comme ligne de conduite de ne jamais cesser d’interroger les pratiques professionnelles, afin de répondre au mieux aux besoins des personnes. Le Centre de la Gabrielle est membre de l’EASPD (Association européenne des prestataires de services pour les personnes handicapées), qui représente 8 000 prestataires apportant une assistance à quelque 50 millions de personnes handicapées dans toute l’Europe.
Selon Patrick Gohet, délégué interministériel aux Personnes handicapées et ancien directeur général de l’Unapei, “le Centre de la Gabrielle est un des acteurs importants de la réflexion sur le handicap mental. Il est aussi un lieu d’innovation, faisant preuve d’une démarche symbolique ambitieuse et humaniste, un lieu d’où émergent beaucoup d’idées neuves inspirant les politiques portant sur le handicap”.

Focus
Un film intitulé “Certifié compétent” a été tourné en 2007 et 2008. Réalisé par Jean-Christophe Ribot, il suit l’évolution des candidats tout au long de leurs parcours de VAE. Didactique, ce reportage mêle interviews et témoignages et permet de se faire une idée plus large de l’accompagnement à la VAE en Ésat et en entreprise adaptée, tel qu’il a été mis en place dans le cadre du projet Éclas, au Centre de la Gabrielle.

Samuel Socquet
Enquête parue en 2009 dans la revue d’étude et d’analyse « Actualité de la Formation Permanente » n° 217

(1) Les Ésat (établissements et services d’aide par le travail, autrefois appelés centres d’aide par le travail, CAT) permettent à plus de 100 000 personnes en situation de handicap en âge de travailler d’exercer une activité professionnelle.
(2) Considérée comme une entreprise de milieu ordinaire depuis la loi du 11 février 2005, l’entreprise adaptée (autrefois appelée “atelier protégé”), à la différence de l’Ésat, fonctionne sans éducateur, ni psychologue, ni encadrement spécialisé. Les contrats de ses salariés sont régis par le Code du travail.
(3) Cité par Gérard Zribi dans Penser le handicap mental, ENSP, 2005, p. 231.
(4) Ville, Ravaud, Letourny, in Quelle trajectoire d’insertion pour les personnes en situation de handicap ? ENSP, 2007, p. 22.
(5) Rapport d’Éric Besson : “Valoriser l’acquis de l’expérience : une évaluation du dispositif de VAE”, présenté le 4 septembre 2008.
(6) Idem, p.21.
(7) Cava : Centre académique de validation des acquis.
(8) Henri-Jacques Sticker, in Désinsulariser le handicap, Erès, 2007, p. 154.

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